Styles d'attachement et développement de carrière

Paru le 10 février 2020

Par Louis Cournoyer, Professeur-chercheur en counseling et développement de carrière, directeur de la maitrise en counseling de carrière (UQÀM), conseiller d'orientation et superviseur clinique

 

 

Quel est votre style d’attachement? Quel est celui des personnes les plus proches de vous, en amitié, en couple, aux études, au travail? Comment l’interaction des 

styles d’attachement des adultes en contexte de travail peut-elle avoir un impact sur l’exercice du pouvoir et du leadership, sur les dynamiques relationnelles et comportementales au sein des organisations?
 
Inspirée de la théorie d’attachement de John Bowlby, Mary Ainsworth s’est intéressée aux façons dont les individus entrent en relation – ou s’en protègent – en regard des croyances qu’ils portent à l’endroit de la confiance, de l’engagement, de l’amour, de l’intimité et de leur capacité à entretenir des rapports de proximité et de soutien mutuels avec les autres (1). Développés auprès d’enfants, les styles d’attachement ont été étudiés et expérimentés auprès d’adolescents et d’adultes, en contexte de vie familiale, amicale amoureuse ainsi que professionnelle. Cette spécialiste a identifié et décrit quatre styles d’attachement qui peuvent servir de repères pour l’analyse de soi et des autres, de l’interaction de soi parmi les autres :


1) sécurisant;
2) anxieux et préoccupé,
3) évitant et détaché,
4) désorganisé.
 
ATTENTION! Il ne faut pas lier directement « style d’attachement » et « trouble d’attachement » tel que présenté dans le DSM-5! Ces derniers touchent moins de 1 % de la population générale, mais tout de même 40 % de celle qui a vécu des expériences extrêmement pathogènes durant l’enfance (2). 
 
Être sécurisé dans son attachement, c’est entretenir une image, une confiance et une estime de soi et des autres suffisamment positives pour bien gérer les aléas de la vie sur le plan de la solitude, des conflits interpersonnels, de même que de l’intimité et de l’engagement. Certes, ces personnes peuvent vivre des périodes de tristesse, de déprime, de stress, de colère, de frustration, d’angoisse, etc., mais sans en être perturbés sur une longue période, à grande intensité, avec un contrôle adapté de leurs attitudes et de leurs émotions à l’endroit d’eux-mêmes et des autres (1). Elles représenteraient environ 50 %-55 % de la population.  
 
Être anxieux et préoccupé dans son attachement, c’est entretenir une image, une confiance et une estime de soi souvent négatives à son endroit, en pouvant se juger indigne d’amour, d’appréciation et d’estime sincères, sans redevance ou compensation requise de la part des autres. Pour nourrir ses besoins légitimes d’amour, de confiance, d’engagement et d’intimité dans ses relations, cette personne pourra, derrière une grande manifestation d’énergie et de disponibilité à l’autre, rechercher très (trop) activement la réassurance, l’attention, l’approbation, le soutien, s’accrochant facilement aux personnes lui démontrant de l’intérêt, de la considération (3). À court et moyen terme, cela pourra entrainer des relations de dévoilement excessif, d’attentes et de demandes excessives et insistantes, de dépendance, puis parfois d’agressivité, d’hostilité, de mépris lorsqu’elle n’arrive pas à assouvir ses besoins affectifs fondamentaux. Ce type de personne représenterait environ 20 % de la population. 
 
Être évitant et détaché dans son attachement, c’est éviter les relations intimes et le dévoilement de soi, par crainte de se retrouver vulnérable et blessé. À cet égard, tout est investi dans une image et une estime positive et protectrice de soi. La personne se retire de situations de tensions, de conflits, par crainte de devoir se rapprocher, s’ouvrir, s’engager, craignant alors de dévoiler toute son hostilité, sa colère. Elle ne veut pas se retrouver en position de demandeur, de fragilité, de nécessité face à d’autres dont elle a intégré la croyance qu’ils ne seront pas aptes, fiables et stables à pouvoir procurer l’aide, foncièrement, fondamentalement, tant désirée depuis toujours. Éviter, dans les attitudes, les façons de concevoir les autres, les relations, amène paradoxalement à revivre la souffrance pour laquelle elle met tant d’efforts à se détacher (1). Ce type de personne représenterait environ 15 % de la population. 
 
Être désorganisé et craintif dans son attachement, c’est entretenir une image et une estime négative à la fois de soi et des autres. Ces personnes peuvent avoir si peur d’être rejetées et abandonnées, alors que pourtant elles souhaiteraient tant pouvoir bénéficier de l’amour et de la considération d’autrui, qu’elles peuvent repousser les autres de manière très maladroite, voire bête et hostile. Non seulement portent-elles une méfiance à l’égard des attitudes et des comportements bienveillants d’autrui, mais aussi doutent-elles foncièrement de qui elles sont. Trop souvent, trop intensément, elles ont vécu des situations les ayant amenées à interpréter leurs attitudes et comportements ainsi que ceux d’autrui comme impulsifs, irréguliers, incomplets, interrompus et contradictoires en regard de leurs besoins affectifs (1). 


Reconnaitre les styles d’attachement et en tenir compte dans ses approches

Selon Wolfe & Betz (4), les personnes au style d’attachement sécurisant sont plus enclines à présenter un sentiment d’efficacité personnelle élevé en regard de la conduite d’un processus de prise de décision et à l’engagement face à une carrière. Celles au style anxieux et préoccupé pourraient avoir plus de difficultés à gérer leur stress et leurs impulsions, les rendant moins critiques, de même que plus impulsives et rigides dans leurs approches de résolution de problème (5). Quant aux personnes au style plus évitant et détaché, elles seront plutôt inconfortables dans des situations de responsabilité et de pouvoir en raison de la difficulté à gérer la proximité émotionnelle pouvant s’associer à la gestion de problématiques relationnelles. Sinon, elles le feront de manière détachée, plus superficielle. Quant aux personnes au style désorganisé, les enjeux au travail pourraient être à la fois de l’ordre personnel et interpersonnel. 
 
Soutenir une personne au style anxieux et préoccupé, c’est se montrer disponible, à l’écoute, présent, apte à l’accueillir dans ses colères, son hostilité, tout en veillant à bien lui refléter l’impact de ses attitudes et de ses comportements pour les autres, mais aussi pour elle-même (6). C’est également mettre en place des structures de travail où les communications entre collègues peuvent être ouvertes, rapidement accessibles.
 
Soutenir une personne au style évitant et détaché, c’est à l’inverse lui fournir son espace, prendre soin d’amener progressivement ses enjeux relationnels avec elle, puis les aborder toujours de sa perspective d’abord, en toute transparence, pour lui permettre de le faire à son tour par la suite. C’est également mettre en place des structures de travail favorisant son autonomie, son indépendance, avec des invitations occasionnelles de rapprochement avec les autres collègues en regard des besoins de l’organisation.
 
Pour les personnes au style désorganisé et craintif, il importe de fournir à la fois un contexte d’écoute, de disponibilité, d’acceptation bienveillante, mais avec les interventions empathiques qui peuvent s’imposer, de manière à amener la personne à pouvoir mieux comprendre que le monde extérieur n’est pas aussi sombre qu’il le parait. 

Références

(1) Tereno, S., Soares, I., Martins, E., Sampaio, D., & Carlson, E. (2007). La théorie de l'attachement : son importance dans un contexte pédiatrique. Devenir, 19(2), 151-188. Repéré à https://www.cairn.info/revue-devenir-2007-2-page-151.htm 
 
(2) Société canadienne de pédiatrie. Les soins aux Néo-Canadiens. Les troubles d’attachement. Repéré à https://www.enfantsneocanadiens.ca/mental-health/attachment-disorders
 
(3) Brassard, A. & Lussier, Y. (2009). L’attachement dans les relations de couple : fonctions et enjeux cliniques. Psychologie, 26(3), 24-27. Repéré à https://www.ordrepsy.qc.ca/documents/26707/63191/psychologie-quebec-mai-2009/d01d1b21-07fe-4b95-aea6-b9a060400293 (À noter que la majeure partie des propos des auteurs s’appuie sur l’ouvrage Attachment in adulthood : Structure, dynamics, and change de M. Mikulincer et P. R. Shaver paru en 2007). 
 
(4) Wolfe, J. B., & Betz, N. E. (2004). The relationship of attachment variables to career decision‐making self‐efficacy and fear of commitment. The Career Development Quarterly, 52(4), 363-369.
 
(5) Shorey, H. S., & Chaffin, J. S. (2018). Leader–Follower Attachment: Implications for Personality Assessment in Organizational Contexts. Journal of personality assessment, 100(5), 518-528.
 
(6) Cournoyer, L. (2020). La théorie et les styles d’attachement : synthèses de connaissances pour les pratiques du développement de carrière. Document inédit produit dans le cadre du cours CAR 1001 – Développement personnel et épanouissement professionnel. Montréal : Université du Québec à Montréal.