Pourquoi certaines personnes s'épanouissent-elles au travail alors que d'autres s’y épuisent?

Par Frédérique Lépine

Paru le 16 décembre 2025

L'auteure est conseillère d'orientation et étudiante au doctorat en éducation à l'Université de Sherbrooke.


Cette chronique s'intéresse aux liens entre les valeurs de travail et trois critères d’évaluation de la santé psychologique au travail, soit l'engagement au travail, l'intention de quitter son emploi et l'exténuation émotionnelle. Elle souligne que l'importance accordée aux valeurs de travail extrinsèques (p. ex. : avoir un revenu élevé) peut devenir néfaste lorsqu'elle éclipse les valeurs de travail intrinsèques (p. ex. : effectuer des tâches stimulantes intellectuellement). Les résultats suggèrent que certaines valeurs contribuent davantage à une meilleure santé psychologique ainsi qu'à des expériences de travail plus positives. Ces observations peuvent éclairer les pratiques organisationnelles visant la rétention, tout comme l’accompagnement offert en orientation.

Dans un contexte où les organisations ont de la difficulté à attirer et à retenir leur personnel, et où les individus doivent s’orienter dans un marché du travail riche en possibilités, comprendre ce qui contribue à leur satisfaction apparait comme indispensable. Les professionnels de l’orientation jouent ainsi un rôle clé en aidant les individus à fonder leurs décisions sur des critères qui favorisent leur bien-être. Et justement, quels sont ces critères? 

Les valeurs de travail

Les valeurs de travail sont un concept très pertinent pour concevoir comment les individus prennent des décisions liées à leur carrière. En effet, elles servent de critères sur lesquels s’appuyer pour juger de la désirabilité d’un emploi ou d’un environnement de travail. Autrement dit, elles reflètent les préférences d’une personne lorsque cette dernière analyse différentes options et orientent ultimement les choix qu’elle fait [1]. 

Selon le modèle de Busque-Carrier et Le Corff [2], les valeurs de travail se regroupent sous trois grandes catégories :

  1. Les valeurs de travail intrinsèques, dont la source de satisfaction provient de la réalisation des tâches liées au poste (p. ex. : la stimulation intellectuelle et la créativité);
  2. Les valeurs de travail extrinsèques, dont la source de satisfaction provient des conditions de travail offertes aux personnes employées (p. ex. : la rémunération et les avantages sociaux);
  3. Les valeurs de travail liées au statut, dont la source de satisfaction est inhérente au sentiment de réussite personnelle et au fait de se retrouver en position de leadership (p. ex. : l’autorité et le prestige).

Les résultats d’une étude québécoise

Dans l’étude que nous avons menée récemment [3], nous avons analysé comment l’importance accordée à certaines valeurs de travail était liée, ou non, à une meilleure santé psychologique au travail, en s’appuyant sur certains indicateurs. Trois indicateurs sont souvent utilisés pour se renseigner sur l’expérience au travail des personnes employées : l’engagement au travail [4], l’intention de quitter son emploi [5] et l’exténuation émotionnelle (sentiment d’être drainé et épuisé émotionnellement au travail) [6, 7].

Les résultats montrent que les individus qui accordent davantage d’importance aux valeurs de travail intrinsèques (p. ex. : ils préfèrent un emploi qui les stimule intellectuellement) présentent un niveau d’engagement plus élevé au travail. Ils ont donc une plus grande tendance à déployer des efforts dans leurs tâches. 

À l’opposé, les individus qui accordent beaucoup d’importance à des critères associés aux valeurs de travail extrinsèques, tels que gagner un salaire élevé, vivent plus d’exténuation. Les résultats indiquent d’ailleurs que plus le niveau d’exténuation émotionnelle est élevé, plus la personne est susceptible d’envisager de démissionner. 

Pour terminer, en ce qui a trait aux valeurs de travail liées au statut, c’est-à-dire à l’importance accordée à occuper un emploi prestigieux ou permettant d’être en position d’autorité, elles tendent à être associées, de manière générale, à un certain mal-être au travail.

Les conditions attirent, mais le sens retient durablement

Accorder une grande importance aux valeurs de travail extrinsèque au moment de choisir un emploi ne semble pas entièrement négatif. En effet, les résultats ont révélé que les valeurs extrinsèques sont tout aussi liées à l’engagement que les valeurs de travail intrinsèques. Cela suggère que la possibilité de faire du télétravail ou d’obtenir des primes de performance peut également amener les personnes employées à se sentir plus investies au travail. 

Toutefois, cette observation comporte une nuance importante : les valeurs de travail extrinsèques demeurent associées à l’exténuation émotionnelle et, par conséquent, à une plus grande propension à vouloir quitter son emploi. Ces conditions de travail attrayantes peuvent donc stimuler l’engagement dans l’immédiat, mais ne suffisent pas à soutenir le bien-être à long terme et peuvent même le compromettre.

Quelles implications pour la pratique en orientation?

Les résultats de cette étude ont permis de montrer que les travailleurs et travailleuses sont plus susceptibles de rester en poste et de préserver une bonne santé psychologique lorsque leurs tâches leur amènent une réelle satisfaction. Cela dit, il est vrai que, dans les milieux organisationnels, l’offre d’incitatifs financiers, de sécurité d’emploi ou de flexibilité d’horaire demeure une stratégie couramment utilisée et généralement efficace pour attirer du personnel. Cependant, l’effet positif de ces avantages peut s’estomper rapidement et peut même, à long terme, aller à l’encontre de l’effet souhaité. Ainsi, il est recommandé de se concentrer sur l’offre de tâches diversifiées, stimulantes et collaboratives.

De manière générale, il est donc essentiel pour les professionnels de l’orientation de rappeler à la clientèle l’importance de fonder ses choix sur des critères qui favorisent le bien-être à long terme, notamment en s’appuyant sur les valeurs de travail intrinsèques. 

Cela implique d’explorer avec ces personnes ce qui les stimule fondamentalement, de vérifier si les environnements de travail envisagés sont compatibles avec leurs valeurs et, finalement, de les sensibiliser au fait que choisir un emploi pour les conditions de travail ou les avantages sociaux, tout en accordant peu d’importance aux tâches qui y sont reliées, peut avoir un cout psychologique réel à long terme.

Références 

  1. Busque-Carrier, M., Le Corff, Y. et Ratelle, C. F. (2022). Development and validation of the Integrative work values scale. European Review of Applied Psychology, 72(5), 100766. doi:10.1016/j.erap.2022.100766
  2. Busque-Carrier, M. et Le Corff, Y. (2022). Échelle intégrative de valeurs de travail : manuel professionnel. Institut de recherches psychologiques.
  3. Lépine, F., Busque-Carrier, M. et Corff, Y. L. (2025). The mediating role of psychological needs in the association between work values and well-being indicators. The Career Development Quarterly, 1‑13. doi:10.1002/cdq.70008
  4. Kahn, W. A. (1990). Psychological conditions of personal engagement and disengagement at work. Academy of Management Journal, 33(4), 692‑724. doi:10.2307/256287
  5. Tett, R. P. et Meyer, J. P. (2006). Job satisfaction, organizational commitment, turnover intention and turnoer: Path analyses based on meta-analytic finding. Personnel psychology, 46(2), 259‑293. doi:10.1111/j.1744-6570.1993.tb00874.x
  6. Maslach, C., Schaufeli, W. B. et Leiter, M. P. (2001). Job burnout. Annual review of psychology, 52(1), 397‑422. doi:10.1146/annurev.psych.52.1.397
  7. Maslach, C. et Jackson, S. E. (1981). The measurement of experienced burnout. Journal of organizational behavior, 2(2), 99‑113. doi:10.1002/job.4030020205

 

*Image par Oleksandr Pidvalnyi de Pixabay

Catégories : Adulte, Bien-être, Santé mentale