La technique CAROTES : état d’esprit et prise de décision

Paru le 30 novembre 2020

par Annik De Celles, auteure et conférencière
 
Vous connaissez peut-être la technique du HALT, un acronyme anglais qui signifie Hungry, Angry, Lonely, Tired, et qui correspond aux 4 éléments qui peuvent engendrer de mauvais comportements ou de mauvaises réactions chez l’humain, petit ou grand.
 
En gros, c’est reconnaitre qu’être affamé, choqué/frustré, seul/isolé ou fatigué peut biaiser notre jugement, ce qui amplifie les problématiques, ou encore nous faire agir de manière inhabituelle. Le but du HALT est de nous conscientiser à ces états, à les avoir en tête avant d’agir, à en prendre soin en mangeant, en nous calmant, en socialisant ou en nous reposant. Ainsi, nous éviterons des comportements négatifs ou une mauvaise prise de décision.
 
La crise sanitaire actuelle et le confinement amènent leur lot de frustrations, de colère, d’isolement et de fatigue. En observant la situation sous l’angle du HALT, nous n’agissons pas « normalement ». Nous en sommes pour la plupart très conscients. Mais puisque la vie continue et qu’il faut s’adapter, nous sommes contraints à prendre des décisions personnelles et professionnelles malgré tout. Changer de carrière, déménager, quitter son conjoint…
 
Comment mieux gérer le tout malgré notre état de HALT? Dans l’incertitude de notre réalité pandémique, il est d’autant plus difficile de prendre une décision sans voir la carotte au bout du bâton. Je vous propose donc un autre acronyme pour traverser cette période.

Anecdote de carottes

Dans notre tendre jeunesse, ma maman avait l’habitude de nous donner, à mon frère et moi, une carotte crue à grignoter vers 17 h, pendant qu’elle préparait le souper. Sans le savoir, elle exerçait le HALT à plusieurs niveaux. Elle savait que un, si nous n’avions pas aussi faim, nous serions plus calmes, et deux, si nous avions la bouche pleine de carottes, cela nous empêcherait de parler et donc de nous chicaner, ou de la déranger! En plus de nous gérer d’une manière simple et efficace, elle se protégeait elle-même, sachant qu’elle était, à ce stade de la journée, trop fatiguée pour gérer une chicane fraternelle… Sans compter qu’elle aussi avait surement faim et devait avoir hâte au retour de son mari après une journée seule à la maison. 
 
Devant les problématiques et les décisions de la vie, il peut être utile de suivre le principe de ma maman et de s’offrir la technique CAROTES (un acronyme avec seulement un T) afin de se positionner dans un bon état d’esprit décisionnel, peu importe la sphère de vie.

C pour Calme

Questionnez-vous : suis-je calme? Suis-je en contrôle de mes émotions? Suis-je dans un environnement paisible? Tous ces éléments paraissent simplistes, mais le calme est un élément important de la prise de décision.

Une étude connue réalisée par des chercheurs suisses consistait à provoquer un stress modéré chez la moitié des participants (on trempait leurs mains dans l’eau très froide) tout en leur présentant un choix de nourriture « saine, mais moins savoureuse » ou « savoureuse, mais moins saine ». Les participants soumis au stress choisissaient majoritairement le plaisir gustatif, moins nutritif! L’activité cérébrale de ces participants, observée par résonance magnétique, démontrait que les zones du cerveau associées à la récompense et à la gratification étaient activées par le stress, diminuant ainsi la capacité d’autocontrôle[1]. 

Notre stress peut donc nous jouer des tours lors de la prise de décision : on cherchera la gratification immédiate plutôt qu’un résultat à plus long terme. Il est donc important de trouver un environnement réconfortant et un état de calme afin d’éviter le choix « facilitant » ou « plus gratifiant », mais moins profitable.

A pour Action

Vos idées s’embrouillent : passez à l’action! Bouger est un bon moyen de diminuer le stress. Une étude menée par des chercheurs de l’Université Columbia conclut d’ailleurs que la pratique d’un exercice aérobique permet d’accroitre les fonctions exécutives de planification, de résolution de problèmes et de raisonnement, toutes des sphères importantes de la prise de décision[2].
 
Marchez, passez l’aspirateur, faites une vidéo d’entrainement, allez jouer dehors avec les enfants… vous y verrez surement plus clair ensuite.

R pour Recul

Prendre du recul, discuter avec votre entourage ou un professionnel peut vous aider à mettre les différents aspects qui rendent votre décision ardue en perspective. Vous avez plus de difficulté à en parler? Prenez le temps de rédiger vos pensées et vos questionnements sur papier.
 
Une étude d'imagerie cérébrale menée par des psychologues de l'UCLA a révélé que l'expression de sentiments, verbalement ou par écrit, réduit l'activité dans l'amygdale, le centre émotionnel du cerveau, et engage le cerveau pensant. Ce schéma cérébral peut rendre la tristesse, la colère et la douleur moins intenses[3]. Réduire l’émotion dans la décision en verbalisant certains aspects de celle-ci vous permettra de prendre du recul et d’avoir une meilleure vue de la situation.
 

O pour Optimisme

Essayer de vous concentrer sur des aspects ou des impacts positifs de votre décision. Bien que rien ne soit parfait, et qu’il y aura toujours des côtés négatifs, des défis et des enjeux, avoir une vision positive et optimiste peut aider à trouver des solutions.

Une étude réalisée par l'Université de Californie à San Francisco a démontré que les participants heureux avaient une approche plus holistique face à des problèmes. Ils étaient capables de reconnaitre des solutions innovantes, contrairement aux participants négatifs. Cette recherche suggère d’ailleurs que l’action de se remémorer des expériences heureuses afin de provoquer un sourire peut avoir un impact positif, de même que simuler un sourire peut amener votre cerveau à se sentir plus heureux!
 

T pour Temps

Pour citer Isocrate, philosophe grec, « Réfléchis avec lenteur, mais exécute rapidement tes décisions ». Bien que nous sachions tous que le temps en lui-même ne règle rien, prendre l’espace pour prendre une décision peut être nécessaire, soit pour analyser ses options ou pour s’informer. L’important n’est pas de remettre aux calendes grecques le choix, et de laisser « la vie » décider à notre place. Gardez en tête les délais liés à votre décision (p. ex. : date d’inscription à un programme), mais sans vous mettre de pression additionnelle sur votre prise de décision. Et il peut être bon de se rappeler que rien n’est vraiment « final ». On peut évoluer, changer d’idée, même revenir sur des décisions.
 

E pour Étapes

Un éléphant se mange une bouchée à la fois, dit le proverbe. Une décision importante ou un grand changement peut souvent être divisé en étapes afin d’être plus facilement géré.
 
Vous explorez l’idée de changer de carrière ou de retourner aux études? Commencez par scruter les offres d’emploi, suivre une formation en ligne, parler avec quelqu’un qui occupe le rôle ou l’emploi que vous visez. Vous désirez acheter une maison? Explorez différents quartiers pour débuter et rencontrez votre banquier pour évaluer votre budget.
 

S pour Soutien

Vous êtes toujours dans l’indécision? Allez chercher le soutien d’un professionnel. Que votre choix soit en lien avec votre vie personnelle ou professionnelle, puisez conseil auprès de votre entourage, d’organismes et de gens qui possèdent l’expertise pour vous éclairer. Vous serez plus outillé et vous vous sentirez moins seul.
 

CAROTE ou carotte?

Si, malgré tout, rien de tout cela ne fonctionne, d’autant plus en considérant l’anormalité de la crise, le HALT vous guette : il reste toujours le truc de ma maman. Rappelez-vous que la situation actuelle, bien que difficile et longue, est temporaire. Pelez-vous une carotte, grignotez-la et patientez, vous aurez au moins un peu plus d’énergie pour la suite!
 
 

 

 

 

Références

[1] Acute Stress Impairs Self-Control in Goal-Directed Choice by Altering Multiple Functional Connections within the Brain’s Decision Circuits
https://www.cell.com/neuron/fulltext/S0896-6273(15)00627-3
 
[2] Aerobic Exercise Improves Cognition, Even in Young Adults. (2019, January 20). Columbia University Irving Medical Center.
https://link.springer.com/article/10.3758/s13423-012-0345-4
 
[3] Hampton, D. (2017, October 1). How Writing Improves Your Brain and Helps You Heal. The Best Brain Possible. www.thebestbrainpossible.com/writing-improves-brain-heal-emotions-health-journaling