L'importance de rester ouvert d'esprit face aux incertitudes de carrière

Paru le 12 février 2018

Par Frédéric Piot, conseiller d’orientation 
 
Dans la lignée du livre Le Paradoxe du poisson rouge[1], la figure symbolique de la carpe, aussi nommée carpe koï, revêt un caractère sacré pour les Chinois, qui lui prêtent huit vertus menant à la réussite.
 
Je m’attarderai donc ici à la première : ne se fixer à aucun port. Ici, l’idée de Confucius prédomine : « Être sans idée pour rester ouvert à tous les possibles ». Sur le plan de la carrière, il ne s’agit pas de n’avoir aucune idée, mais plutôt de n’en privilégier aucune à l’excès pour être à même de s’adapter aux situations toujours changeantes de notre monde moderne et mouvant.
 
En orientation professionnelle, on le sait bien, les bouleversements induits par la mondialisation de l’économie et les échanges conduisent à devoir redéfinir le concept de carrière et de travail et à accorder plus d’importance aux changements et aux transitions. Il est alors davantage question de construire sa propre histoire professionnelle. Riverin-Simard[2] évoque, à ce titre, le chaos vocationnel, tandis que Boutinet (1998)[3] y voit davantage l’immaturité de la vie adulte.
 
D’autres auteurs privilégient le développement de la conscience de soi et l’adaptabilité, qualités relatives à la gestion de soi-même et de sa carrière. La carrière n’est désormais plus considérée comme un métier, une profession présentant des étapes successives et qui s’inscrivent dans une trajectoire linéaire, stable et prévisible, mais davantage comme le produit d’un processus continu d’apprentissage tout au long de la vie et durant lequel il faut apprendre à composer avec les imprévus et l’incertitude.
 

L’impermanence constante (ou la transformation permanente)

Comme le souligne l’auteure du Paradoxe du poisson rouge, pourquoi s’attacher à des idées (et à des croyances), puisque la réalité elle-même est de toute façon en transformation permanente?
Ramené au champ de l’orientation professionnelle, il s’agirait plutôt de préciser de grandes directions, tout en demeurant souple et flexible à ce qui n’était pas anticipé, préparé, envisagé ou prévu. Probablement plus facile à dire qu’à faire! Et pourtant, le changement n’est-il pas dans la nature même des choses? Cela nous renvoie à cette notion d’impermanence si chère aux bouddhistes, notamment.
 
Cette idée de la souplesse se retrouve dans la forme de la carpe, qui ondule dans tous les sens, nous rappelant ainsi « l’importance pour la pensée de ne se raidir dans aucune position »[4]. Il est question ici du livre sacré des Chinois, le Yi King, appelé le Livre des transformations, qui cherche à développer chez l’homme ouvert à l’inattendu son pouvoir intuitif.
 
La question à se poser n’est donc pas « Est-ce que ma vie (professionnelle) va s’arranger? », mais plutôt « Que dois-je faire ici et maintenant pour que ma vie s’arrange? », nous invitant alors à mobiliser notre intuition pour trouver notre propre réponse.
 

Ne se fixer à aucun port

Le Yi King nous propose ainsi de sélectionner, parmi 64 hexagrammes (ou situations types) ceux qui feraient le plus écho à la situation particulière et professionnelle où l’on se trouve[5]. À cet égard, Jung a d’ailleurs élaboré son concept de synchronicité (occurrence simultanée d’au moins deux évènements qui ne présentent pas de lien de causalité, mais dont l’association prend un sens pour la personne qui les perçoit) après avoir pratiqué le Yi King, un « procédé divinatoire permettant à un individu d’identifier le texte ou l’hexagramme qui est en rapport avec son vécu »[6].
 
Le fait de ne se fixer à aucun port permet la recherche de la vision juste, qui représente la première des huit étapes du noble sentier pour sortir de la souffrance, cette dernière étant principalement causée par le déni, tant à propos de soi que du monde qui nous entoure. Caillau[7] rappelle ainsi que :
  • Nous ne voyons pas le réel tel qu’il est, mais selon nos désirs et nos craintes.
  • Nous ne le voyons pas non plus dans sa globalité, car nous regardons les choses en surface, oubliant alors de nous intéresser à ce qui est plus profond et immergé.
N’y aurait-il pas ici le point de départ d’une authentique démarche d’introspection en orientation?
 
[1] Caillau, H. (2015). Le Paradoxe du poisson rouge : une voie chinoise pour réussir. Éditions Saint-Simon.
[2] Riverin-Simard, D. (1996). « Le concept du chaos vocationnel : Un pas théorique à l’aube du XXIe siècle ? ». L’orientation scolaire et professionnelle, 25(4), 467-487.
[3] Boutinet, J. P. (1998). L’immaturité de la vie adulte. Presses universitaires de France.
[4] Caillau, H. (2015)., op. cit.
[5] Idem
[6] Beaubien, L. (1994). Le principe de synchronicité chez Carl Gustav Jung (Thèse doctorale, Université du Québec à Trois-Rivières).
[7] Caillau, H. (2015)., op.cit.